Se soustraire du monde réel et entrer dans le monde sensible, c’est une mission à accomplir au moins une fois dans sa vie. Être là au bon endroit et au bon moment, c’est évidement une chance qui n’est pas donnée à tout le monde. Mieux encore, pouvoir assister et même participer à une naissance, à une création, à une explosion de bonheur, c’est l’extase dans son extrême ébullition.

Samedi 6 août 2022, a eu lieu La nuit des Artistes à Honfleur, il y avait pour tous les goûts, pour tous les âges, de tous les styles d’artistes et types de spectacles. Il y avait surtout un artiste singulier, dont Honfleur a connu son premier cri, sa première respiration, ses premiers pas et sa première ascension vers les étoiles. Cet enfant du pays, c’est l’artiste peintre de l’abstrait, Karls, né en 1971, sous le signe de « l’élan émotionnel ».

Avoir le privilège d’interviewer un artiste comme Karls, c’est pour moi l’apogée de mes espérances.

Écouter parler un artiste, c’est déjà grandiose, mais l’entendre au plus profond de son âme vous embarque dans des lieux sacrés, où le silence est tout, sauf un silence.

« Je voulais peindre à Honfleur pour diverses raisons personnelles… C’est fait…» Karls

Léa: Peut-on connaître les raisons qui vous ont poussées à peindre Honfleur ?

Karls : « Mon père, qui est décédé en 2016, était peintre animalier à Honfleur, il avait sa galerie rue du Dauphin, là où j’ai commencé à apprendre à dessiner avec lui, d’où l’importance pour moi d’envoyer un signe à mon père pour lui dire, voilà papa, moi aussi je peins à Honfleur.

D’un autre côté, avoir vécu mes 36 premières années à Honfleur, puis être partie en 2006, par amour pour ma femme qui habitait Paris, fait de moi quelqu’un de très attaché à ce qu’on appelle le magnétisme, quelqu’un qui espère beaucoup en la survivance des âmes, en quelque chose dans l’après.

Étant né à Honfleur, avoir parcouru le monde pour peindre devant des publics divers et variés, il était évident pour moi de revenir peindre dans ma ville natale, pour donner naissance à mon tour, à ma 31ème toile.

On oublie souvent qu’on est de race animale, et qu’il n’y a pas que les tortues qui reviennent mourir à l’endroit où elles sont nées. »

Léa : Enfant du pays, comment décrire vos sentiments pendant la réalisation de la toile à Honfleur?

Karls : « Partout où j’ai peint en public, à Honfleur ou n’importe où dans le monde, on va lier sentiments et sensations, mais pour moi, ce que je recherche c’est surtout la sensation de n’avoir aucun sentiment, de n’être plus rien, de ne pas exister.

Quand je peins en public, je n’ai pas le temps de penser, parce qu’en général je peins une toile de 6 mètres de long dans un temps relativement court, 45mn environ. Je fais mon travail de la façon dont je le construis, c’est à dire, je n’ai pas le temps de me poser des questions, en tant qu’être paradoxal, ce que j’aime par dessus tout, c’est ce paradoxe énorme, qui me fait peindre en public, me mettre en scène et en lumière, pourtant, c’est le contraire de ce que je recherche en émotions. »

Léa : Pourquoi ce type de format monumental pour vous exprimer ?

Karls : « Du point de vue du spectacle, on sait que la démesure est très attirante, si j’avais fait une toile de 2 mètres, on aurait eu presque personne, par contre, peindre une toile de 6 mètre ou plus, c’est rare, donc par définition, c’est impressionnant, curieux et engendre l’étonnement.

Du point de vue du format, cette démesure fait que je suis avalé par la toile, c’est le format qui m’absorbe, je suis dans son ventre, et une fois encore, c’est un paradoxe, parce que je suis avalé par le format, mais c’est moi qui le domine. Les seules fois où je suis dominé par le format, c’est quand je peins dans mon atelier, les formats sont plus petits, plus restreints, des toiles de 1 mètre ou même moins, bizarrement, le petit format devient le patron, puisque je peins de l’abstrait, à la moindre erreur, je suis foutu, je n’ai pas de manœuvres pour la rattraper, contrairement aux grands formats, si j’estime commettre une erreur, je la répare et je repars sur un autre point. »

Léa : On sent de la poésie dans vos toiles, mais de la colère aussi, même de la révolte et de la tragédie. Comment expliquez-vous ce mélange ?

Karls : « Pour moi, la création artistique, l’art en lui même, ce n’est ni plus ni moins que de la recherche de soi en permanence. Tous les artistes qui ont fait l’histoire de l’art, ont laissé une empreinte bien précise, permettant de reconnaître leurs œuvres au premier regard, car ils se sont peins eux même.

L’ artistes peintre espagnol Antoni Tàpies a dit : Pour être un bon artiste il faut avoir lu des milliers de livres. Je suis loin d’avoir lu des milliers de livres, des centaines oui, mais j’ai 3 catégories de lecture: philosophique, scientifique et artistique.

La philosophie est une recherche de savoir ce que nous sommes, la science c’est la recherche de savoir d’où nous venons, quand à l’art, à titre individuel, c’est la recherche de ce qu’on est tout court.

La poésie, la colère, la révolte et la tragédie, forment en réalité, mon autoportrait.

J’aime l’élégance et le romantisme, mais à notre époque, quand on est poétique, romantique et mélancolique, on se sent profondément seul et tourmenté. De mon point de vue en tant qu’artiste, je considère que le tragique a une grande force esthétique, donc, vous ne me verrez jamais peindre sur une thématique comme le retour des hirondelles au printemps, je ne suis pas inspiré, par contre, peindre des sujets dramatiques, comme des génocides ou des hommages aux victimes des guerres, là je remplace le mot inspiration par expiration, car nous ingérons des choses, nous ingurgitons des idées, nous vivons et visionnons des actes, nous aspirons tout ce qui nous entoure, pour finalement l’expirer sur une toile ou sur un papier. »

Léa : Comment déterminez-vous ce que vous allez peindre en public?

Karls : «Je ne prépare rien, je ne sais jamais à l’avance ce que je vais peindre, c’est là tout l’intérêt de peindre en public. Quand on fait un travail abstrait comme je fais, je choisis juste les couleurs que je vais utiliser, parfois j’accepte qu’on me demande une couleur précise, rien de plus. Ne sachant pas ce que je vais peindre à 2 secondes avant de commencer, je devient victime de ma toute première touche, car quand je pose cette première touche au hasard, elle devient alors arbitraire pour toute la suite. Je donne beaucoup d’importance à l’équilibre chromatique et spectral, d’où cet enchaînement de lignes et de touches qui dépendent les une des autres, jusqu’à la touche finale, qui dépend elle aussi de la première touche, car cette première touche a définit dès le départ la structure de l’œuvre qui est en train de naître»

Léa : Lors de vos performances en public, quel rôle attendez-vous de vos spectateurs ?

Karls : « Je n’attribue aucun rôle particulier du public, j’espère juste qu’il aime ce que je propose, de le comprendre, de se détacher de la réalité pour entrer dans l’abstrait des choses. Je ne critique pas ceux qui ne comprennent pas, ceux qui n’aiment pas, par contre, ceux qui pensent tout bas qu’un enfant de 10 ans est capable de faire ce que je fais, je leur offrirai les tubes de peinture et ma place, pour montrer ce qu’ils sont capable de faire.

Picasso a dit : J’ai mis toute ma vie à savoir dessiner comme un enfant. »

Léa : L’horizontalité dans vos œuvres monumentales, a-t-elle une signification ?

Karls : « Pas vraiment, cependant, elle est là, elle est le vestige de la peinture classique, qui présente des siècles de styles et de formats, elle ne s’impose pas forcément dans mes peintures, elle se fond dans l’abstraction de l’ensemble obtenu. »

Léa: Peut-on dire qu’il y un point commun entre toutes vos peintures ?

Karls : «En effet, même plusieurs points. Il y a l’esthétique, la sensualité, l’harmonie des couleurs et des teintes, avec une particularité dans mes peintures, celle de ne jamais utiliser la couleur verte, car j’estime que cette couleur appartient à la nature, si je l’utilise, j’ai l’impression de tricher dans mon art abstrait.

Il y a aussi toutes les émotions citées dans une des précédentes réponses, à savoir, la poésie, la colère, la révolte et la tragédie. Toutes mes peintures ont ces points en commun, qui après tout me reflètent tel que je suis. »

Léa : L’abstraction lyrique est une liberté d’expression pour vous. Avez-vous un autre moyen d’expression ?

Karls « Je précise d’abord que, le lyrique selon ses racines grecques, veut dire l’enthousiasme, ce qui se voit d’ailleurs lors de mes prestations, quand je peins, je gesticule et je bouge. Alors oui, s’il y a un moyen d’expression que je peux, non pas remplacer mais ajouter comme complément à la peinture, ça serait certainement l’écriture, que j’ai déjà pratiquée en publiant à 3 reprises, un article sur ma vision de l’art de la peinture. »

LB : Que pouvez-vous nous révéler qu’on ne trouve pas dans votre biographie sur votre site?

Karls : « Ma douleur et ma souffrance quotidienne, de ne pas être perçu tel que je suis. C’est toute l’histoire de ma vie, que j’ai toujours ressenti depuis mon jeune âge. Je me sentais différent, je n’avais pas les mêmes plaisirs que les autres, je ne riais pas de ce qui les faisait rire, je pleurai de ce qui ne les faisait pas pleurer. J’ai énormément souffert aussi à l’adolescence, de part ma façon de m’habiller, de m’exprimer, de bouger, de parler, mais aussi de part mes lectures et mes pensées les plus franches. Ma façon d’être a toujours renvoyé une image de moi qui, malheureusement, n’est pas la bonne.

Bizarrement et paradoxalement, je me mets perpétuellement dans des situations , qui font penser le contraire de qui je suis. Le fait de peindre en public, amplifie ma souffrance, car on me colle la réputation de quelqu’un qui se la raconte, un peu frimeur, un peu hautain, un peu prétentieux, quelqu’un qui se la joue star inabordable, alors que je suis tout le contraire. Quand je peins en public, pour moi c’est LE moyen de me cacher, de disparaître, de ne plus exister en tant que Karls, de ne plus être conscient de qui je suis, ni de combien d’enfant j’ai, ni de l’âge que j’ai.

Peindre en public c’est terrorisant pour moi, malgré mon amour et ma préférence pour ce type de performance, je viens sur les lieux avec la peur au ventre, comme les chanteurs qui remplissent des stades, à la seule différence, c’est que le public d’un chanteur sait ce qu’il va faire et chanter, tandis que pour moi, le public assiste à la création, il est derrière moi, impatient de découvrir le résultat qui, pourrait ne pas lui plaire, ne pas correspondre à ses attentes, et surtout il peut ne pas comprendre mon art abstrait. »

« N’est-ce pas grisant que de se sentir absent de soi le temps d’une peinture … » Karls

J’aurais aimé que cette interview ne s’arrête jamais, j’avais l’impression d’aspirer les mots de Karls, pour expirer ses maux.

Le paroxysme de l’existence, c’est d’être ce qu’on est, sans artifices ni surplus, être celui qui, même blessé, continue à avancer vers la lumière, pour une éternelle conquête de liberté.

Pour aller plus loin dans l’univers de Karls, visitez son site : https://karls.live/

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